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Avis d’expert : les conséquences de la présence sur Internet

Aujourd’hui :  le troisième volet d’un triptyque.

Fait n°1: Le matin du vendredi 24 juin 2016, l’Angleterre s’éveille avec l’annonce des résultats du Brexit : 52% de la population a voté « Leave », en faveur d’une sortie de l’Union Européenne. Pour les 48% restants, c’est la stupéfaction. Nombreux n’avaient pas vu le résultat venir, confortés par l’impression d’un grand soutien pour le camp « Remain » dont ils avaient fait l’expérience sur les réseaux sociaux.1

Fait n°2 : La page Facebook de la « Flat Earth Society », organisation défendant l’idée que la Terre est plate et non ronde, compte près de 200 000 abonnés, en février 2019. 2

Fait n°3 : En 2019, un enfant de 9 ans, habitué du Web, affirme avec conviction que le président français est un « extra-terrestre reptilien envoyé sur Terre pour prendre le contrôle de l’espèce humaine ».

 

Au premier regard, l’essor d’Internet semblait promettre une future génération plus informée et aux opinions plus objectives. En effet, la création d’un immense conglomérat d’informations à la portée de tous, auquel tout un chacun est autorisé à contribuer, aurait dû libérer les individus du conditionnement et de la manipulation.

Ceci est vrai dans une certaine mesure. Pourtant les faits évoqués nous montrent que la réalité est parfois moins réjouissante. Internet est aussi un terreau fertile pour le populisme, l’extrémisme et le complotisme. Mais pourquoi ?

L’explication est plutôt simple. Internet nous donne accès à un trésor d’informations. Mais nous sommes tout simplement incapables, pour des raisons biologiques évidentes, de traiter cette masse d’informations à l’état brut. Seuls certains algorithmes surpuissants en sont capables. Il en résulte que, lorsque nous voulons explorer de nouveaux contenus sur Internet, nous nous en remettons obligatoirement à ces algorithmes qui sélectionnent, ordonnent, voire même modifient l’information avant de nous la présenter. L’information que nous obtenons a donc fait l’objet d’un traitement, qui n’est pas sans conséquences.

 

1. Les algorithmes se basent sur nos habitudes de navigation

Les données que nous générons sur Internet dressent un portrait étonnement juste de notre personne. En effet, selon une étude parue en 2015, nos « J’aimes » sur Facebook permettent à des algorithmes de mieux nous connaître que notre entourage : avec 10 « J’aimes », mieux que nos collègues ; avec 70 mieux que nos amis ; avec 150 mieux que notre famille ; et enfin, avec 300 mieux que notre conjoint. 3 Or les algorithmes chargés de notre expérience sur le Web se basent sur ces données pour fonctionner. Après tout, ils cherchent à assurer notre plus grande satisfaction en tant qu’utilisateur. Et nous éprouvons un plus grand plaisir à consommer des contenus qui reflètent nos propres convictions et préférences, des contenus qui nous ressemblent. Il en résulte un phénomène d’amplification : les contenus que nous consommons s’alignent de plus en plus avec nos propres opinions et préjugés, qui s’en trouvent ainsi renforcés.

 

2. Les algorithmes se basent sur les habitudes de navigation des communautés auxquelles nous sommes automatiquement associés

Les contenus que nous consommons et l’ordre dans lequel ils nous sont présentés sont aussi déterminés à partir de critères comme notre âge, sexe, géolocalisation, situation professionnelle, appartenance religieuse, etc. Ces critères créent des communautés virtuelles, auxquelles nous sommes associés par défaut et nous avons tendance à nous « formater », à force d’y être exposés. Le Web devient alors un véhicule de conformisme d’un côté, et de polarisation de l’autre, du fait de l’hermétisme de certaines communautés virtuelles.

 

3. Les algorithmes favorisent les contenus les plus consultés

Plus un contenu est populaire sur le Web, plus il sera relayé. Porté à l’extrême, cela entraîne un phénomène de viralité qui fait émerger de nouveaux dangers. D’un côté, on se fait happer par le débat, qu’on le veuille ou non. Il devient alors difficile de rester neutre sur le sujet en question. De l’autre, les contenus qui sont enclins à devenir viraux sont souvent ceux qui véhiculent des positions très marquées et engagées. De ce fait, le Web a tendance à étouffer les opinions les plus modérées, détachées et objectives.

 

4. Les algorithmes cherchent à satisfaire des intérêts particuliers, moyennant finances

Les algorithmes chargés de notre expérience sur le Web ne se soucient pas seulement de notre plaisir et de notre confort en tant qu’utilisateurs. Ils servent aussi des intérêts politiques et financiers. La présence de contenus sponsorisés, que ce soit en tête des référencements des moteurs de recherche ou au milieu de notre fil d’actualité sur les réseaux sociaux, en est la preuve parlante. L’impact réel de ces contenus sponsorisés peut être important pour l’utilisateur inattentif, qui est alors exposé à un vrai risque de manipulation. En ce sens, l’exemple récent le plus marquant est probablement celui de Cambridge Analytica.  Cette entreprise de conseil en communication se disant capable de « changer le comportement grâce aux données » a été un acteur majeur derrière la campagne présidentielle de Donald Trump aux Etats-Unis. Elle est aujourd’hui accusée d’avoir utilisé les données personnelles de 30 à 70 millions d’utilisateurs Facebook à leur insu. Ceci leur aurait permis d’obtenir une victoire stratégique dans plusieurs États du pays, grâce à des campagnes promotionnelles fortement profilées et diffusées sur le réseau social en question. 4

 

Loin de nous affranchir de toutes influences, Internet nous a rendus peut-être encore plus vulnérables à l’auto conditionnement et à la manipulation. Bien sûr, peu de personnes s’identifient aux fervents défenseurs de la théorie de la Terre plate, ou à des fanatiques complotistes. Ces exemples sont en effet extrêmes. Néanmoins, force est de constater que l’influence des algorithmes sur notre objectivité est bien réelle.

 

Pour autant, bonne nouvelle !

Bien qu’inquiétants, les dangers que représentent les algorithmes ne sont pas une fatalité. En effet, de simples actions existent pour les éviter.

Tout d’abord, il est important de prendre conscience du problème. Renseignez-vous, et cherchez à acquérir une meilleure compréhension du fonctionnement des différents algorithmes auxquels nous sommes tous confrontés. C’est une première étape pour reprendre le contrôle.

Soyez attentif à la présence ou non d’un sigle « sponsorisé » sur un contenu web. Et lorsqu’on vous propose un contenu sponsorisé, demandez-vous pourquoi vous en êtes la cible. Sur le Web, être lucide et sur ses gardes, c’est être plus libre.

Attaquez le problème à la source, en empêchant l’accumulation, voire même la création de données personnelles, lorsque vous êtes en ligne. Pour cela :

  • Effacez votre historique régulièrement via les paramètres du moteur de recherche utilisé (par exemple : Google, Yahoo, Bing, Copernic, etc.) Pour Google : https://support.google.com/accounts/answer/465 .
  • Désactivez les « cookies » pour ne pas générer de traces sur les sites que vous consultez. Référez-vous aux Paramètres de votre navigateur (Internet Explorer, Chrome, Firefox, Safari, etc.)
  • Passez en Navigation Privée
  • Installez un VPN : celui-ci vous permet de naviguer en « usurpant » une adresse IP différente de la vôtre. Ainsi, toutes les données que vous générerez ne seront pas rattachées à votre appareil. De plus, dans la mesure où l’adresse IP « usurpée » change d’une utilisation à l’autre, votre activité sur le Web ne donnera pas lieu à un traitement profilé des contenus consultés.
  • Déconnectez-vous de vos adresses emails : peu d’entre nous ont le réflexe de le faire. Grosse erreur ! Avec une adresse Gmail par exemple, vous êtes identifiable par tous les autres services Google, notamment YouTube et la barre de recherche Google. Les données ainsi générées sont alors systématiquement rattachées à votre adresse email et le profilage se fera automatiquement sur tous les appareils sur lesquels vous serez connectés.

 

Enfin, pour des plateformes où vous n’avez pas d’autres choix que d’être connecté via des identifiants (Facebook, Twitter, etc.), il est malheureusement impossible de naviguer de façon anonyme. De plus, il n’y est pas toujours possible d’effacer ses données de navigation. Le meilleur remède est alors de prendre du recul par rapport aux contenus qu’on y voit, de ne pas se fier aux réseaux sociaux comme seule source d’informations et de se renseigner sur les algorithmes qui génèrent des suggestions et des recommandations.

 

Sources :

1https://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2016/11/01/facebook-faux-ami-de-la-democratie_5023701_3236.html

2 https://fr-fr.facebook.com/FlatEarthToday/

3 https://www.pnas.org/content/112/4/1036

4 https://www.lemonde.fr/pixels/article/2018/03/22/ce-qu-il-faut-savoir-sur-cambridge-analytica-la-societe-au-c-ur-du-scandale-facebook_5274804_4408996.html