Publié le 13 juin 2023 – Par Laurence Delain
Rebattue en profondeur par les conséquences économiques de la guerre en Ukraine, la donne financière refait la part belle aux produits de taux. Pourtant, avec le retour de l’inflation, il convient plus que jamais de raisonner en termes réels pour apprécier la réalité du rapport rendement-risque de ses placements financiers dont la pérennité rime toujours avec diversité.
Les habitudes ont la vie dure. Grisées par la brutale remontée des taux déclenchée en 2022 par le retour accéléré de l’inflation consécutif au choc de la guerre en Ukraine, « 65 % des personnes interrogées dans le cadre de l’édition 2023 de notre enquête annuelle ‘Les Français, l’Epargne et la Retraite’ placent le Livret A en tête des placements les plus intéressants devant l’immobilier locatif et l’assurance-vie », confirme Philippe Crevel, directeur du Cercle de l’Epargne.
Rapportant actuellement 3 % nets de tous frais, impôts et prélèvements sociaux, ce placement parfaitement liquide et garanti par l’Etat est sans conteste attractif. Et tout laisse à penser que sa prochaine hausse de rémunération, attendue pour le 1er août (le taux du Livret A pourrait franchir la barre des 4 %), renforcera encore la place de ce produit de trésorerie dans le portefeuille des Français.
Pertes réelles
Pourtant, on le sait, miser sur ce type de placement sécurisé dans un contexte d’inflation persistante (+5,1 % sur un an à fin mai) revient à perdre de l’argent. « Nous nous sommes livrés à un petit calcul d’où il ressort que, pour la seule année 2022, un couple avec deux enfants ayant opté pour une stratégie prudente en détenant 15.000 euros de liquidités sur ses comptes courants, quatre livrets A saturés à 22.950 euros et un contrat d’assurance-vie d’un montant de 100.000 euros, dont 50 % placés sur un fonds en euros, avait, en termes de rendements réels nets, enregistré une perte de pouvoir d’achat de son capital de 7.800 euros », détaille Thibaut Cossenet, directeur de l’offre épargne et patrimoniale du Groupe Le Conservateur.
Les professionnels du patrimoine ont beau rappeler, comme le fait Thibaut Cossenet, que l’acte d’épargne « constitue une alternative à celui d’une consommation immédiate qu’il convient d’optimiser par des stratégies d’investissement diversifiées susceptibles d’assurer à l’épargnant un niveau de consommation future au moins équivalent à celui d’aujourd’hui », rien n’y fait : les Français restent allergiques à la prise de risque. « Au quatrième trimestre 2022, l’encours des produits de taux s’élevait à 3.638 milliards d’euros et représentait 63 % de leur patrimoine financier », indique Philippe Crevel.
Valeur temps
La lecture de la dernière étude de l’Institut de l’épargne immobilière et foncière (IEIF) sur la rentabilité des principaux placements des Français sur des durées allant de cinq à quarante ans devrait pourtant inciter les investisseurs à changer de braquet. Ce panorama couvre quatre crises économiques majeures : le krach obligataire et boursier de 1987, l’éclatement de la bulle Internet des années 2000, la crise des subprimes de 2008 et la crise sanitaire de 2020. « Il intègre également pour 2022 les conséquences de la guerre en Ukraine », précise Stéphanie Galiègue, directrice générale déléguée de l’IEIF.
« Nous avons calculé sur différentes périodes la performance de plusieurs catégories d’investissement (immobilier locatif, pierre-papier, foncières, actions, obligations, Livret A et or) en nous basant sur leur TRI, c’est-à-dire le taux de rentabilité interne, qui permet d’évaluer la pertinence d’un projet en rapportant l’ensemble des flux futurs qui y sont attachés (achat, vente, revenus, etc.) à un taux d’intérêt annuel actuel », poursuit Stéphanie Galiègue.
Or sur longue période, ce sont sans conteste « les actions qui délivrent le niveau de performance le plus élevé avec un TRI moyen de 15,1 % par an entre 1982 et 2022 ». Sur quinze ans, en revanche, l’or tient la corde devant l’immobilier tertiaire, et sur cinq ans, l’investissement dans les locaux industriels (logistique et locaux d’activité) l’emporte haut la main.
Dans tous les cas de figure, les produits de taux (obligations et Livret A) sont en queue de peloton. « Ces résultats rappellent combien il est important de regarder dans le rétroviseur pour évaluer la rentabilité réelle et la robustesse du rapport rendement-risque des différents placements », souligne Stéphanie Galiègue, qui insiste toutefois, pour les performances futures, sur les nombreuses incertitudes qu’induit le « changement brutal des conditions économiques et monétaires » intervenu depuis un an.
Repères et feuille de route
Dans le contexte agité du moment, se poser les bonnes questions s’impose comme un préalable à toute décision patrimoniale : quelle nature de rentabilité recherche-t-on (de la plus-value, des revenus réguliers, de l’optimisation fiscale…) ? pour quels types de projets (immobilier, soutien des enfants, retraite, transmission…) ? à quelle échéance ? en fonction de quelles contraintes financières, juridiques, fiscales, etc. ?
Une fois cette feuille de route en mains, « la diversification reste la meilleure des stratégies pour mutualiser les risques », estime Philippe Lauzeral. Pour le directeur général de Finzzle Groupe, cela suppose non seulement « de répartir ses placements sur différentes classes d’actifs en fonction de son profil d’investisseur », mais aussi de les ventiler sur des secteurs d’activité et des secteurs géographiques variés, de mixer les modes de gestion (libre ou pilotée) et, à la marge, de miser sur des marchés innovants soutenant par exemple l’eau, l’environnement, l’intelligence artificielle, et sur des fonds qui « font sens pour l’investisseur ».
Pour composer avec la délicate question du bon « market timing », ce professionnel, comme d’autres, insiste par ailleurs sur les atouts de l’investissement progressif ou programmé.
Systématisée de longue date par les réseaux financiers dans différentes déclinaisons (compte-titres, PEA, assurance-vie), cette mécanique a la vertu de lisser les points d’entrée sur les marchés (en misant un même montant de façon récurrente on achète automatiquement plus d’actions lorsque les cours sont bas et moins lorsqu’ils montent) et donc de diluer la prise de risque.
Battre l’inflation
On échappe ainsi partiellement au biais « de la finance comportementale qui pousse à investir lorsque les marchés sont déjà – trop – hauts et à s’en dégager lorsque leur baisse génère des opportunités », note Thibaut Cossenet. Or, dopées par la remontée des taux associée à la volatilité boursière, celles-ci ne manquent pas.
Des comptes à terme au private equity en passant par les fonds structurés, l’obligataire daté ou les actions porteuses de dividendes, de nombreuses solutions sont susceptibles de battre l’inflation à court, moyen et long terme. Saisir ces opportunités au bon moment suppose toutefois de ne pas oublier que « loin d’être figé, le curseur du couple rendement-risque reste modulable par l’investisseur en fonction de l’évolution du contexte et de ses besoins », conseille Philippe Lauzeral.
SOURCE : LES ECHOS
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